La peine du bourreau – Estelle THARREAU

J’ai lu ce livre dans le cadre du Prix des Auteurs Inconnus 2020 pour lequel je suis jurée dans la catégorie Littérature noire depuis sa création, il y a quatre ans maintenant. Avant toute chose, je vous rappelle que, pour effectuer notre présélection parmi les soumissions proposées par les auteurs (une soixantaine rien qu’en littérature noire cette année), nous avons en notre possession trois éléments : la couverture, la quatrième ainsi que les dix premières pages. Après avoir éliminé ceux qui comportent plus de trois fautes parmi ces dix premières pages, nous devons voter pour les cinq romans qui nous ont semblé les plus prometteurs, puis lire les sélectionnés, en entier cette fois, avant de les chroniquer et de voter à nouveau afin d’élire le gagnant.

McCoy est bourreau au Texas. Après 42 ans passés dans le couloir de la mort, il reçoit la visite officieuse du gouverneur Thompson qui doit se prononcer sur la grâce du condamné numéro 0451.
Il ne leur reste que quatre heures pour faire revivre les souvenirs de McCoy avant l’injection létale.
Quatre heures dans l’isolement de la prison de Walls.
Quatre heures pour cinq crimes qui déchaînent les passions.
Quatre heures pour ce qui pourrait être la dernière exécution de McCoy.
Quatre heures pour jouer le sort d’un homme.

La peine du bourreau est le cinquième et dernier roman que je lis dans le cadre du PAI de cette année. J’avoue qu’il ne faisait pas partie de mes présélections, bien que j’apprécie beaucoup la plume d’Estelle Tharreau dont j’avais lu précédemment De la terre dans la bouche et Les eaux noires. Je précise aussi que si je ne l’avais pas choisi, c’était uniquement à cause de son sujet qui ne m’inspirait pas plus que ça, malgré un titre magnifique, dont la beauté est due pour beaucoup à son ambivalence. Pourtant, plus encore que pour les précédents, la magie a opéré et je me suis laissé engloutir dans ce drame psychologique très noir.

C’est un véritable huis-clos en milieu carcéral qui se déroule au Texas, l’un des États du Sud les plus conservateurs et ségrégationnistes du pays, et je salue les recherches documentaires effectuées par l’auteur car le résultat est remarquablement instructif, crédible et détaillé. L’atmosphère rendue est très visuelle, lourde, oppressante et carrément glaçante lors de certaines scènes. Il y est question de justice et d’injustice, de vengeance, de colère, de culpabilité et d’innocence, de jugement hâtif, de conscience, de morale et de racisme.

Même si l’opinion d’Estelle Tharreau paraît claire, l’auteure reste objective, ne prend jamais ouvertement parti et expose différents points de vue. En donnant la parole aux avis opposés, elle ne propose ni plaidoyer ni réquisitoire, ni même un témoignage sur la justice aux États-Unis, mais ouvre un débat, plante un cadre et nous pousse à réfléchir. D’aucuns trouveront que l’intrigue brasse toujours les mêmes schémas et arguments – environnement familial, éducation, culture – mais l’ambivalence du personnage d’Ed, à la fois bourreau et condamné, donne une dimension plus large et permet une perception différente. Dès lors, où se placer entre justice et morale ?

Extrait : Je savais qui étaient ces gens et ce qu’ils faisaient à leurs enfants. Moi je me suis interposé avant qu’ils n’en fassent de la chair à prison et à table d’exécution.

Extrait : (…) il… comprenait pourquoi personne n’aimait les bourreaux. Ils étaient telle une mauvaise conscience qui vous renvoie à vos propres erreurs… La mauvaise conscience d’une société qui engendre des monstres mais qui n’est pas prête à payer le prix pour l’éviter, pour que les choses changent.

J’ai beaucoup apprécié également le dénouement, complètement inattendu, qui enfonce le clou en nous réservant une jolie surprise.

Le style, quant à lui, fait preuve d’indéniables qualités littéraires qui se sont amplifiées au fil des romans et j’ai noté très peu de coquilles hormis, une fois encore, quelques manquements à la concordance des temps, problème récurrent et devenu aujourd’hui presque omniprésent.

Avec La peine du bourreau, Estelle Tharreau confirme son talent. C’est une histoire poignante, glaçante, prenante et puissante, un vrai roman coup de poing qui a tout à fait mérité le prix obtenu au festival de Cognac.

 

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Site internet : PAI 2020

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