Le rêve dévoré – Jo ROUXINOL

« Avant j’étais une vieille âme endolorie enfermée dans un corps d’enfant, dans une famille, dans une vie dont chaque contour me blessait toujours plus, jour après jour. En partant j’ai éclaté les parois de ma prison, la rage a guéri d’elle-même, je la sens encore palpiter parfois mais de manière tellement inoffensive, si vous saviez, ce n’est plus qu’une ombre de colère qui dort au fond de mes souvenirs. Avant je ne voyais que les murs, ils étaient hauts, ils étaient gris, il n’y avait ni portes ni fenêtres, rien qu’une boîte sans ciel et sans air, voilà ce que vous m’offriez, un cercueil dans lequel je ne pouvais que hurler en griffant les parois, en heurtant tout ce qui se trouvait à proximité, hurler et hurler encore, hurler tant que la vie ressemblerait à la mort. Et maintenant, regardez-moi, regardez-moi bien, j’ai vu l’océan et j’ai vu l’horizon, et je prends désespérément tout cet avenir que le monde me promet. » Clarisse, treize ans et demi, est une écorchée vive. Un matin, elle part. Sa fuite la mène jusqu’au sud de l’Europe où elle vit ce qui, pour elle, ressemble de plus en plus à un rêve. Jusqu’à ce que la réalité la rattrape.

Premier livre de cette auteure que je lis, « Le rêve dévoré » est un véritable coup de cœur ! Preuve en est que je l’ai commencé un matin et fini le soir même, ce qui ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Alors bien sûr ce n’est pas un pavé de 800 pages non plus et j’étais exempte de travail ce jour-là. Mais quand même ! J’ai été littéralement happée, absorbée, aspirée, enivrée par cette histoire bouleversante et par cette plume magistrale.

Je m’explique ! Enfin si j’y arrive… Parce qu’il est vraiment difficile d’exprimer l’ampleur de ses ressentis quand on n’a pas forcément le talent nécessaire et aussi parce qu’on a peur de ne pas faire un retour à la hauteur de ce qui nous a été procuré.

Clarisse, 13 ans, a été diagnostiquée très tôt EIP (comprenez « enfant intellectuellement précoce »). C’est une adolescente qui se rebelle, contre le collège, la société, le moule dans lequel on veut la couler, la vie en général… et ses parents bien sûr…  Après avoir fugué pour retrouver un ami virtuel, elle rencontre Tony et tente avec lui de vivre un véritable rêve de liberté.

Si le début m’a semblé surprenant avec l’emploi de la première personne du singulier et le langage grossier propre à l’héroïne, cela m’a néanmoins permis de rentrer immédiatement dans la peau de l’adolescente et de finalement ressentir sa colère, son incompréhension et son désir de liberté, mais aussi sa naïveté et son besoin de rêver.

Dans la seconde partie, entre en jeu un nouveau personnage à part entière, et au moins aussi important que Clarisse elle-même : le Portugal. L’auteure nous le fait découvrir avec talent, je dirais même avec amour. Vibrant, chaud, salé des embruns de l’océan, vivant, coloré et bruyant, avec sa richesse architecturale, ses effluves de cuisine et ses éclats de voix. J’en ai humé les senteurs, mes yeux se sont régalés de ses trésors historiques et de ses côtes battues par le vent, j’ai scandé le fado et presque senti le sable couler entre mes doigts. La plume, jusque-là brute et percutante, change alors de registre et se fait plus douce, caressante, pleine de sensibilité, voire très poétique parfois, ce qui nous confirme toute l’étendue du talent littéraire de Jo Rouxinol.

La troisième partie sonne le retour à la réalité du monde et même si la fin est très dure, et que j’en ai pleuré, j’ai aussi été heureuse d’y ressentir de l’espoir.

Quant à l’histoire, elle est poignante, cruelle, désespérée, comme un amour interdit, juste… magnifique…  Je n’en dirai pas plus car vous devez la lire pour la vivre pleinement.

Extrait : « Avant lui, je ne savais pas que la vie était si belle ».

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