Adam Forster, célèbre peintre new-yorkais, est en panne d’inspiration depuis trois ans. Certaines femmes de sa vie se verraient bien endosser le rôle de “muse” auprès de lui, telle son épouse qui gère d’une main de fer sa carrière mais qu’il n’a jamais peinte, ou ce top-model nymphomane avec qui le peintre entretient une relation sulfureuse. Mais devenir muse ne s’improvise pas et Adam semble avoir jeté son dévolu sur Lisa, jolie française qui lui a inspiré sa dernière toile : The Anorgasmic.
Acceptera-t-elle ce projet fou qu’il a en tête ? L’inspirera-t-elle au-delà de la peinture, jusqu’aux confins d’un amour charnel et décomplexé ?
La dédicace est datée de juin 2020 ; déjà presque un an, donc, qu’il m’attendait bien sagement. Et puis j’ai ressenti comme une urgence ; ne me demandez pas pourquoi, je ne saurais vous répondre, mais j’ai senti que c’était le moment.
C’est étrange comme les livres de Gérald Ruault surgissent dans ma vie à des périodes bien précises, presque comme une thérapie qui tombe pile au bon moment. Ce fut le cas avec Orgasmic dont Muse(s) reprend les personnages, et surtout avec l’incroyable et inoubliable Chambre 21 (chronique) qui fut peut-être le livre qui m’a le plus marquée de toutes ces dernières années.
Si Orgasmic s’attachait plus particulièrement à mettre en scène Lisa et n’avait qu’à peine présenté Adam, Muse(s), lui, nous le dépeint – c’est le cas de le dire – plus en profondeur. Pour ceux qui n’auraient pas lu Orgasmic (lire la chronique) auparavant, pas de panique, Lisa nous en fait un bref résumé au tout début !
Adam est peintre et c’est aussi celui qui a guéri Lisa de son anorgasmie. Lisa, elle, lui a inspiré sa plus célèbre toile. C’est dire si leurs liens sont de nature très étroite et fort intime. La peinture, et la création artistique en général, sont au centre de ce roman qui explore le « travail » de l’artiste comme une partie intrinsèque de lui, de sa nature, un besoin viscéral, une pulsion animale et organique, tout autant que l’amour, le sexe et la quête de soi. Ce qui n’empêche pas l’auteur, comme à son habitude, de nous livrer son regard lucide et très acide sur notre société. Dans Chambre 21, il évoque le star-system et la violence conjugale, dans Orgasmic, il traite de la banalisation de la sexualité qui est devenue un véritable produit de consommation, ici on parle de l’Art ou du mannequinat dans leurs pires dérives, de l’abêtissement progressif de la société ou bien encore de la recherche de la vérité et de soi-même.
Extrait : « À bien y réfléchir, je crois qu’il y a pire dans cette vie que de ne pas aimer la personne qu’on est devenue : c’est d’avoir définitivement tiré un trait sur celle qu’on aurait rêvé d’être et qu’on ne sera sûrement jamais. »
Gérald Ruault, artiste lui-même, poète, écrivain, auteur-compositeur et interprète, joue avec les mots, les utilise et les contourne, les subtilise et les retourne, les associe et les affranchit dans un ballet très poétique et sensuel où se mêlent Art, amour et sexe sans qu’on ne puisse plus parfois les dissocier. De sa belle écriture, riche, complexe et ambigüe, toujours pleine d’humour, qui possède une réelle identité, une vraie signature stylistique, il nous caresse, nous séduit ou bien nous frappe et nous percute. Je me demande d’ailleurs comment il arrive à être aussi cru sans jamais tomber pour autant dans la vulgarité – bien que ce roman ne soit pas à mettre, je le précise quand même, entre toutes les mains.
Orgasmic et Muse(s) font réellement figure d’ovnis dans ma bibliothèques et nul doute que leur auteur en est un lui aussi, mais lire du Gérald Ruault reste à chaque fois un enchantement pour les yeux, ainsi qu’un véritable chamboulement pour le cerveau, le cœur et tous les sens.